Joe Diop ex entraîneur des Lions:  » Le dialogue est une manœuvre pour perpétuer le pouvoir »

Ancien entraineur sélectionneur de l’équipe nationale de football du Sénégal, Joe Diop est aussi un homme politique connu. Membre fondateur de Yonu Askan wi, mouvement pour l’autonomie populaire et ayant en charge le patrimoine idéologique, politique et culturel, il jette un regard dans la situation actuelle du pays. Parlant du dialogue politique initié par le pouvoir du Président Macky Sall, il déclare, « c’est vrai que nous sommes à quelque jour de Noël, mais notre peuple ne croit pas à ce père Noël »
L’AS : Le premier mandat de Macky Sall tire à sa fin. Quel bilan politique tirez-vous de son magistère jusqu’ici ?
Joe Diop
Au-delà de la survenue d’une deuxième alternance, ponctuée par le départ de Me Abdoulaye Wade et l’arrivée de Macky Sall au pouvoir, je ne vois aucune différence. D’abord Macky Sall étant un pur de Me Abdoulaye Wade, de la démarche Abdoulaye Wade et ayant pris le pouvoir d’élection, il ne fait que poursuivre le même chemin et même entraîner notre pays dans une négativité au lieu d’amorcer des ruptures. L’ensemble du peuple s’attendait à ces ruptures, mais c’est plutôt l’avènement d’une politique faisant la promotion du capital privé étranger, dans le cadre d’un néo-colonialisme, mais aussi dans le cadre d’un système néolibéral. C’est pourquoi, je ne fais pas du tout de différence. Aujourd’hui, à travers les actes posés, notre indépendance, notre autonomie mais surtout notre souveraineté sont menacées. Pour preuve, le néocolonialisme s’est installé à nouveau. Toutes les grandes sociétés françaises et occidentales ont envahi l’espace national au moyen de leur propre marché, pour promouvoir le capital privé étranger. Il se trouve aussi que toutes les politiques déclenchées, ponctuées par le régime de Macky Sall favorisent la croissance, la promotion de ce capital privé étranger au détriment des initiatives nationales et à l’étouffement de toutes tentatives d’édifier une économie nationale. Ils sont en train de mettre notre économie nationale en désoxygène. Mais ce qui est rassurant c’est que nous sommes à la veille de grandes tempêtes électorales. Incontestablement, notre peuple ne peut s’évertuer à laisser perpétuer à accepter une éternité d’oppression, de répression et d’exploitation. Nous avons une histoire et elle repose essentiellement sur la résistance à l’ordre colonial, néocolonial, contre l’impérialisme. Nous voulons un Etat souverain, populaire, s’engageant dans une voie pour le devenir social et humain de notre peuple, des peuples d’Afrique et du monde. Ce tout globalisé repose essentiellement sur notre identité à savoir notre indépendance et notre souveraineté
Mais sur le plan politique le pouvoir a quand même posé des actes allant dans le sens de la consolidation de la démocratie
La démocratie a un caractère de classe. Nous sommes dans un monde où toutes les sociétés humaines obéissent à l’existence de classes antagoniques et entretiennent aussi des luttes diversifiées. La démocratie que notre peuple subit à l’heure actuelle est une démocratie néolibérale qui se développe depuis l’apparition d’Abdoulaye Wade et qui se perpétue et se développe davantage avec Macky Sall. Aujourd’hui notre peuple aspire à une démocratie populaire, de souveraineté, d’indépendance, qui retourne vers les exigences nécessitées de développer le pays, de briser les chaînes de l’esclavage. Nous voulons une démocratie populaire, dans un régime populaire dirigé par les classes populaires. Tout le contraire de celle de Macky Sall, constituée de girouettes qui s’adapte au gré du vent soufflant.
Comment expliquez cette tension ambiante sur le terrain politique, avec une opposition éclatée qui fait face à un pouvoir qui lui tend la main ?
C’est parce qu’il y a des classes antagoniques, mais aussi des élites depuis Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade jusqu’à Macky Sall. Et ce sont ces mêmes élites qui gouvernent et parmi elles, il y a des girouettes qui s’adaptent à toutes les situations politiques. Elles se greffent toujours au sens indiqué par le vent. Donc cette situation n’est pas étonnante d’autant plus que certains leaders n’hésitent jamais à aller avec celui qui s’accapare du pouvoir là où d’autres des situationnistes dont la principale préoccupation c’est leur individualité. Heureusement qu’il y a aussi des militants fervents, des produits de notre peuple, qui ont pour seule préoccupation, briser les chaîne de l’exploitation. C’est cela qui fait la diversité d’opposition dans notre pays. Mais une chose est certaine, nous sommes interpellés par l’histoire et notre peuple sortira victorieux
Dans le cadre de cette démocratie le Président Macky Sall a fait un grand pas en jetant les bases d’un dialogue politique. Quelle est votre appréciation ?
C’est vrai que nous sommes à quelque jour de Noël, mais notre peuple ne croit pas à ce père Noël. Il ne faut pas que Macky Sall et son régime entonne une chanson, un refrain pour nous endormir. Il a choisi Seydou Nourou Bâ pour piloter ce dialogue, mais je n’y crois pas et peule aussi n’y croit pas. C’est encore une des manœuvres pour perpétuer le régime et renouveler constamment leurs possibilités lors des prochaines élections. Il s’y ajoute que nous vivons dans l’arène politique un contexte de rapports marchands. Tout se vend et s’achète y compris le mensonge. Nous sortons d’élections législatives marquées par ces rapports marchands. Il n’y aucune perspective de dialogue sincère car ils sont là pour leurs poches et pour promouvoir le capital privé étranger. Notre société abrite une multitude de crises. Tous les domaines et secteurs sociaux sont malades. Il se pose d’énormes problèmes aussi dans les centres urbains que dans les zones rurales. Je ne crois pas à ce dialogue, ils sont en train de manœuvrer pour favoriser le maintien de la superstructure étatique et l’infrastructure économique qu’ils contrôlent, sous dépendance de la promotion du capital privé étranger qui va leur laisser des miettes. Rejetons nos illusions, organisons-nous, acquittons nous de nos tâches patriotiques et historiques pour accentuer l’avènement d’une véritable libération de notre pays et de son émancipation, l’avènement d’un régime authentiquement populaire, au service du peuple et de son devenir social et humain.
Quel conseil donneriez-vous au Président Macky Sall pour l’aboutissement de ce dialogue politique ?
Qu’il fasse avant tout son bilan depuis son arrivée au pouvoir. Où en est-il avec la multitude de promesses concernant tous les secteurs sociaux ? Aujourd’hui, même la question foncière est étouffante. Ils sont en train de vendre les terres de nos grands-parents, les paysans sénégalais n’ont plus la possibilité de s’adonner totalement à l’exploitation des terres par le truchement de l’agriculture.
Mais les terres de Dias ont été quand même utilisées à bon escient avec l’implantation de l’Aéroport International Blaise Diagne qui vient justement d’être inauguré.
Ce n’est encore là que la manifestation de la promotion du capital privé étranger
L’affaire Khalifa Sall va bientôt connaître son épilogue judiciaire avec le procès qui va s’ouvrir. Votre réaction ?
En tout cas dans cette affaire, je vois mal qu’on me parle d’indépendance de la justice. Au-delà de ce cas, il n’y a jamais d’indépendance de la justice. Toute justice obéit aux lois qui servent à la superstructure étatique et à l’infrastructure économique. C’est un acte politicien qui persiste pour condamner Khalifa Sall. Pour ce qui concerne ce qu’ils reprochent à Khalifa Sall, il serait intéressant qu’ils reprennent l’historicité. Ils sont en train de trouver des voies et moyens, des pédagogies appropriées pour s’opposer à la candidature prochaine de Khalifa Sall. Cette affaire relève d’un acte politique incontestable.
2019 c’est pour bientôt. Selon vous, comment doit s’organiser l’opposition pour faire face au pouvoir ?
En tout cas beaucoup d’évènements connaîtront un développement très significatif. On ne peut faire partie d’une opposition et vouloir s’asseoir entre deux chaises. Il faut une opposition véritable, tournée vers les intérêts légitimes, réelles de libération, d’émancipation, de désaliénation de notre peuple, de développement de notre pays. Encore une fois rejetons nos illusions, restons debout, puisons dans le patrimoine culturel de notre peuple, servons notre peuple par une véritable opposition populaire pour créer les meilleures conditions d’émancipation, de développement à travers une industrialisation de souveraineté. C’est pour que nous soyons un axe déterminant dans le processus du devenir du continent africain à travers un panafricanisme et un internationalisme des peuples, pour activer l’avènement d’une véritable mondialisation des peuples, débarrassée des chiens de garde de l’ordre capital néolibéral
Propos recueillis par Mbaye SAMB L’AS