Un dialogue national pour reconstruire, pas pour reconquérir
Dans les moments cruciaux de l’histoire des peuples, certains choix ne relèvent pas de la tactique, mais de la survie collective. Lorsqu’un État vacille, que la confiance dans les institutions s’érode, et que les fondations du vivre-ensemble sont menacées, il devient vital d’ouvrir un espace de parole et de reconstruction. Cet espace, c’est le dialogue national, non comme un exercice cosmétique, mais comme un acte politique fort, porteur de rupture, de clarification et de refondation.
Ainsi, du 28 mai au 4 juin 2025, se tiendra au Sénégal, un dialogue national axé sur la réforme du système politique. L’objectif de ce dialogue, qui se veut inclusif, est de « repenser nos institutions, revisiter nos pratiques, et rebâtir la confiance entre l’État et les citoyens ». Ce dialogue s’articulera autour de dix axes inter-liés, invitant à des réformes profondes et durables du système politique sénégalais. Aussi l’importance de cet exercice pour un futur radieux et paisible du Sénégal requiert-elle la présence de toutes les forces vives de la nation.
Au cours de notre analyse, nous verrons tour à tour les différentes caractéristiques du dialogue national pour une réforme du système politique sénégalais : en tant qu’acte de souveraineté, outil de légitimation, base d’une refondation durable, mais aussi en tant que moment de vérité et de pacification.
Refonder un État ne peut se faire par décret. Cela exige d’écouter le pays réel, de s’adresser au peuple non comme spectateur, mais comme acteur de son propre destin. Le dialogue politique national version Bassirou Diomaye Faye ambitionne de réinstaller la souveraineté au cœur du processus politique : il veut donner voix aux aspirations étouffées, aux propositions des marges, aux frustrations accumulées.
Les consultations politiques nationales de ce mois de Mai 2025 pourraient constituer un véritable acte de souveraineté dans la mesure où elles permettent au peuple Sénégalais de reprendre en main la définition de son avenir politique et social, à travers un processus de concertation inclusif et maîtrisé. Elles incarnent d’abord une volonté populaire de rompre avec la dépendance aux arbitrages extérieurs ou aux solutions imposées par des puissances étrangères, souvent éloignées des réalités sénégalaises. En réunissant les acteurs politiques, les forces sociales, les représentants des institutions, des collectivités territoriales, de la société civile, des familles religieuses et des citoyens, un tel dialogue consacre la capacité de notre pays à définir ses propres priorités, à panser ses plaies internes surtout issues des événements de 2021 à 2023, à résoudre ses conflits par lui-même, et à poser les fondements d’un nouveau contrat social légitime fondé sur la vérité, la justice et l’inclusion.
Dans un pays traversé par des crises de confiance, des transitions incertaines ou des ruptures démocratiques, l’exercice du dialogue politique représente une affirmation forte que la souveraineté ne se limite pas à des symboles institutionnels, mais qu’elle s’enracine dans la parole retrouvée du peuple, dans sa capacité à décider, à arbitrer, à réorienter. Il permet aussi de restaurer la dignité d’un État parfois affaibli par la délégation excessive de sa gouvernance ou par la confiscation du pouvoir par une poignée d’hommes politiques.
Par ailleurs, dans un contexte de rupture, la légitimité du nouveau pouvoir ne peut reposer sur une seule dynamique électorale ou militante. Elle doit s’enraciner dans un consentement élargi, dans une reconnaissance mutuelle des forces vives, dans un processus participatif où chaque sénégalais se sent co-auteur de la refondation, co-fondateur de l’acte de renaissance démocratique. Le dialogue politique national devient alors un mécanisme de consolidation politique : il confère à « l’alternance du 25 mars » une dimension historique, irréversible, encore plus légitime aux yeux du peuple sénégalais comme de la communauté internationale.
Ce rendez-vous national peut devenir un outil de légitimation puissant dans les contextes de crises politiques, de transitions démocratiques incertaines ou, comme cela semblait être le cas dans notre pays, de perte de confiance entre gouvernants et gouvernés. En réunissant autour de la table l’ensemble des forces vives de la nation (partis politiques, société civile, syndicats, autorités religieuses et coutumières, mouvements citoyens, universitaires et représentants des populations), le Président de la République tente de créer un espace de délibération ouvert, où les divergences pourraient être exprimées, confrontées et transcendées. C’est ainsi que tout sénégalais qui le désire aura la possibilité de se positionner par rapport aux différents axes de réflexion autour desquels s’articuleront ces joutes, à travers le site web https://jubbanti.sec.gouv.sn/ dédié à cette importante activité.
Ce processus donne de la crédibilité aux institutions politiques, en montrant que les décisions majeures ne sont plus l’apanage d’une élite restreinte, mais le fruit d’une volonté collective. Il est clair que lorsqu’il est inclusif, transparent et orienté vers des solutions concrètes, ce dialogue politique historique contribuera à réparer le lien brisé entre l’État et le peuple, à réduire les tensions sociales et à offrir une sortie pacifique aux conflits politiques latents. Il permet également de redéfinir les règles du jeu démocratique, de restaurer la confiance dans le processus électoral et de renforcer l’État de droit.
Un dialogue politique national réussi ne se contentera pas de produire des résolutions : il offrira une reconnaissance mutuelle entre adversaires politiques et rétablira la légitimité du pouvoir politique souvent sujet à des contestations. Il permettra aux autorités issues de la nouvelle alternance de fonder leur autorité non seulement sur un cadre légal, mais aussi sur un consensus national. C’est cette adhésion large, populaire et plurielle qui confère au nouveau pouvoir une légitimité profonde, enracinée dans le pacte social renouvelé.
Il ne peut y avoir de réformes solides sans adhésion populaire. Les transitions qui échouent sont souvent celles qui se font dans la précipitation, en vase clos, entre initiés. Ce qui est surtout visé à travers le dialogue politique, c’est la mise en place d’un cadre politique et méthodologique pour penser ensemble la révision des textes régissant les partis politiques, leur financement, la garantie de la liberté de manifestation, la fiabilité du fichier électoral, le rôle de la justice en matière électoral, le rôle des médias en période électorale, etc. Ainsi, il crée une dynamique collective, un souffle nouveau, une énergie fondatrice.
Refonder un État, ce n’est pas seulement changer de dirigeants : c’est changer de méthode, de culture politique, de rapport au peuple.
Le dialogue politique national constitue le socle d’une refondation durable dès lors qu’il permet de repenser en profondeur les fondements de l’État et du vivre-ensemble à travers un processus collectif, inclusif et souverain. Dans un contexte de transition, de crise institutionnelle ou de perte de légitimité, le dialogue politique offre une occasion unique de revoir les règles du jeu politique, de moderniser les institutions et de rebâtir le contrat social sur des bases plus équitables, plus justes et plus représentatives.
En réunissant toutes les composantes de la société (partis politiques, société civile, représentants des territoires, syndicats, organisations de jeunesse, autorités coutumières et religieuses) le dialogue permet une déconstruction sereine de l’ordre ancien et une reconstruction réfléchie des piliers de la nation. C’est un espace propice à la révision des textes fondamentaux, à l’identification des blocages structurels, à la formulation de propositions concrètes pour garantir la stabilité, la transparence, la justice sociale et l’équité territoriale.
La refondation durable exige que les réformes ne soient pas imposées d’en haut, mais issues d’un consensus national, portées par une volonté collective. Le dialogue national, dans cette perspective, n’est pas un simple moment politique, mais un acte fondateur qui inscrit les nouvelles orientations dans la durée, parce qu’elles sont le fruit d’un engagement partagé. Il permet aussi d’instituer des mécanismes de suivi et d’évaluation, assurant la mise en œuvre effective des engagements pris.
Cependant, le dialogue national doit aussi être un moment de lucidité. Au-delà des questions aux partis politiques et aux élections, lorsqu’il est sincère, inclusif et structuré, ce dialogue de Mai doit obliger à poser les vrais problèmes : impunité, accaparement des ressources, fractures sociales, délitement de l’école, crise de la justice, dysfonctionnements institutionnels, exclusions sociales, violences politiques, trahisons démocratiques. Il doit amener à penser ensemble la révision des textes fondamentaux, la refonte des institutions, la réorientation des politiques publiques, entre autres. En cela, il n’est pas un simple espace de discussion : il est un levier de rupture avec les pratiques du passé, un instrument de réparation démocratique, et un antidote aux conflits latents. Il pacifie en donnant la parole ; il répare en reconnaissant les torts ; il unifie en nommant les attentes.
Le dialogue politique national aurait pu embrasser plus large, en visitant tous les sujets attendus ardemment par le peuple sénégalais. Il devra être incontestablement un moment de vérité et de pacification puisqu’il est conçu comme un espace de franchise, de reconnaissance mutuelle et de responsabilité partagée. Dans les contextes de tensions accumulées et de crise de confiance, ces concertations représentent l’occasion de mettre cartes sur table, de sortir des faux-semblants institutionnels et de confronter les douleurs, les frustrations, les injustices et les espoirs qui traversent la société sénégalaise. Il permet aux acteurs politiques de dépasser les logiques de pouvoir pour entrer dans une démarche de vérité historique, de lucidité sur les échecs passés, et d’humilité face aux attentes populaires.
In fine, en occultant les vraies questions qui intéressent les sénégalais, c’est un peuple entier qui restera figé sur sa faim, au lendemain de ce grand rendez-vous. Rater ce moment de vérité revient à empêcher à toutes ces mémoires blessées de s’exprimer, à rejeter l’aveu collectif d’un besoin de réconciliation nationale. Ne pas permettre au dialogue politique national de discuter des problèmes les plus éminemment politiques, c’est maintenir le statu quo sur les malentendus en refusant de situer les responsabilités.
La pacification ne naîtra que lorsque l’essentiel des forces vives de la société sénégalaise aura retrouvé la confiance entre elles et repris espoir. Il est véritablement urgent de donner au peuple sénégalais la possibilité de déployer sa volonté commune d’éviter les confrontations violentes, de rompre avec la politique de l’exclusion, et de refonder le vivre-ensemble sur des bases nouvelles. Le dialogue politique national sur la réforme du système politique, lorsqu’il est inclusif, et ancré dans la vérité, la transparence et la volonté de rupture avec les pratiques anciennes, devient le point de départ d’une refondation durable. Il redonne sens à l’action publique, confiance aux citoyens, et stabilité aux institutions, posant les jalons d’un avenir national construit sur le dialogue, la responsabilité et l’unité retrouvée.
Lamine NDIAYE Aysa Fall
Président Mouvement ARCHE/ Yoon Wi
Email : lamineaysafall@lamineaysa.com